Aliénor ne perd pas de temps. Elle sait qu'elle est convoitée par tous les coureurs de dot et ce n'est pas une expression en l'air. Revenant dans sa bonne ville de Poitiers, elle manque ainsi de se faire enlever par le comte de Blois Thibaud V puis par Geoffroi, fils cadet du comte d'Anjou Geoffroy V le Bel Plantagenêt.
Puissante et dans toute la beauté de ses 30 ans, elle jette son dévolu sur le bel Henri (20 ans), fils aîné du même Geoffroy V, et lui offre le mariage. Henri est l'héritier de l'Anjou, du Maine et de la Touraine par son père. Il est aussi, par sa mère Mathilde l'Emperesse, le petit-fils du roi d'Angleterre Henri Ier Beauclerc. Comme Louis VII, il est cousin d'Aliénor au 4e degré mais qu'à cela ne tienne ! L'amour a ses raisons que la raison ignore.

L'union est célébrée précipitamment dans la chapelle ducale de Poitiers, le 18 mai 1152, deux mois après le fatal divorce. Ce jour-là, sans doute Louis VII le Jeune a-t-il regretté l'absence du sage Suger...
Pour ajouter à son désarroi, voilà que son ex-épouse donne le jour à un premier garçon le 17 août 1153, elle qui, jusque-là, n'avait eu que des filles ! Le lendemain, Étienne de Blois, qui dispute à Mathilde le trône d'Angleterre, perd son fils unique. Il se résout à adopter Henri Plantagenêt, faisant de lui l'héritier du trône de Guillaume le Conquérant.
Tandis qu'Aliénor met en ordre ses domaines aquitain et poitevin, Henri se rend en Angleterre pour préparer sa prochaine promotion...
Un nuage vient alors obscurcir le bonheur des deux époux : le fringant comte Henri tombe au cours de son séjour outre-Manche sous le charme d'une jeune et blonde anglaise, Rosamonde Clifford, fille d'un baron local. Leur romance durera vingt ans et ne va pas peu contribuer à altérer le bonheur d'Aliénor. Le destin légendaire de la favorite, que l'on croira à tort morte empoisonnée sur ordre de la reine, inspirera de grands poètes comme Chaucer.
Cela mis à part, tout sourit aux jeunes mariés... Étienne de Blois et Mathilde étant morts, Aliénor et Henri ceignent la couronne royale dans l'abbaye de Westminster, au cœur de Londres. On est le 19 décembre 1154. Le comte d'Anjou devient le roi Henri II. Avec Aliénor, il possède l'Angleterre et tout l'Ouest de la France, de Calais à Bordeaux. Un véritable « Empire angevin » !
Pendant les dix premières années de leur mariage, Henri et Aliénor participent de concert au gouvernement du royaume. La reine exerce la régence quand son époux se rend sur le Continent. Elle dispose de sa propre chancellerie et il lui arrive de dicter des chartes royales sans que le roi se soucie de les valider.
Ternie par la guerre civile qui avait suivi la mort d'Henri Ier Beauclerc, la vie de cour s'épanouit à nouveau dans les fêtes, réceptions et banquets...
Le 25 février 1155, Aliénor donne le jour à un deuxième fils, Henri, héritier du trône du fait de la mort en bas âge de son aîné. Une fille naît peu après puis encore un fils, Richard, le futur Cœur de Lion, le 8 septembre 1157.
Henri II et Louis VII concluent une trêve et l'accompagnent d'une promesse de mariage entre Marguerite, fille du roi capétien et de sa nouvelle épouse Constance de Castille, et l'aîné d'Aliénor.
La reine met au monde un nouveau fils, Geoffroy, en 1158, sans que cela ravive l'amour dans son ménage sur lequel plane l'ombre de la blonde Rosamonde (« fair Rosamund »).
Aliénor prolonge ses séjours en Poitou et Aquitaine et, à partir de 1163, y demeure en quasi-permanence, cependant que son époux se consacre aux affaires anglaises... et à sa dulcinée.
En 1166, Henri II défait les Bretons et obtient pour son fils Geoffroy la main de Constance, héritière du duché. Sa puissance paraît alors immense et l'avenir des plus prometteurs.

À Poitiers, pendant ce temps, aux dires du chroniqueur André le Chapelain, auteur du Traité de l'amour (1181-1186), la reine anime des cours d'amour où gentes dames et troubadours chantent et dissertent à loisir, rivalisant d'esprit et de charme. Ainsi débat-on par exemple du point de savoir si l'amour est encore possible dans le mariage, quand la relation charnelle devient une contrainte et n'est plus le fruit d'un libre choix !
On croit savoir qu'au cours de ces soirées, Aliénor se serait éprise de l'un des plus célèbres troubadours de son temps, Bernard de Ventadour, et que son amour aurait été payé de retour... Ces cours d'amour vont déboucher plus tard sur l'académie des Jeux Floraux, à Toulouse.
La reine, à 45 ans, met au monde son dernier enfant, encore un fils, Jean. Henri II ne prévoit pas de le doter, aussi restera-t-il dans l'Histoire sous le nom de Jean sans Terre. Par contre, selon la tradition familiale, le roi envisage de léguer à son fils aîné Henri le trône d'Angleterre et le duché de Normandie, à Richard, le préféré d'Aliénor, l'Aquitaine et l'Anjou, et à Geoffroy, la Bretagne.
Un peu plus tard, Henri II confirme le partage de ses domaines entre ses trois premiers fils. Il fait sacrer son fils Henri pour asseoir la dynastie. Mais Henri le Jeune, surnommé Court-Mantel en raison de ses habitudes vestimentaires, arrogant et vindicatif, ne se satisfait pas de cet honneur. Il réclame de jouir sans délai de la Normandie ! Son père refuse.
Henri Court-Mantel complote avec quelques grands vassaux du Limousin et quand son père vient le chercher, il s'enfuit en catamini puis fait mander à sa mère d'engager ses frères Richard et Geoffroy en sa faveur. Aliénor hésite. La raison politique voudrait qu'elle ramène l'harmonie dans sa famille. Mais son amertume d'amoureuse trompée et d'épouse humiliée l'emporte au final : elle entraîne ses fils dans la révolte et envisage même de rejoindre son ancien mari Louis VII à Paris pour gagner son soutien.
Henri II réagit avec détermination. En novembre 1173, il arrive promptement à Chinon, fait arrêter Aliénor par ses hommes d'armes et l'incarcère d'abord à Chinon puis dans la tour de Salisbury, près de Londres, et dans divers châteaux anglais ! La reine s'y morfondra presque sans interruption pendant quinze ans, jusqu'à la mort de son époux.

La guerre parricide se poursuit entre temps. À la Noël 1184, Henri II réunit sa famille à Cantorbéry pour un plaid solennel. Il libère momentanément Aliénor et rend à Richard l'Aquitaine et l'Anjou. Nouveau drame : le 19 août 1186, Geoffroy meurt, piétiné par des chevaux, lors d'un tournoi à la cour du roi de France Philippe Auguste. Il laisse un héritier, Arthur (ou Artus) de Bretagne.
Le roi capétien, fils tardif de Louis VII le Jeune, veut profiter de la situation pour abattre les Plantagenêt. Une guerre se prépare quand soudain, coup de tonnerre, survient la nouvelle terrible : Jérusalem vient de tomber aux mains des Sarrasins ! Une nouvelle croisade s'impose, quarante ans après la précédente. Richard se croise sans attendre. Philippe II Auguste et Henri II conviennent de se croiser également mais ne se hâtent pas...
Richard, Henri II et Philippe Auguste se préparent (avec lenteur) à partir pour la Terre sainte. Cela laisse le loisir à Richard de se révolter une nouvelle fois contre son père et Jean se joint à lui ! Henri II meurt le 6 juillet 1189 à Chinon, abattu par la nouvelle de la trahison de son fils préféré et tourmenté par le remords d'avoir commandité l'assassinat de son fidèle ami, le pieux archevêque Thomas Becket.